Koha à Sulaimani

Koha libraryUne fois n’est pas coutume, ce retour d’expérience d’implantation de Koha ne nous vient pas d’une bibliothèque française mais de celle de Sulaimani, capitale de la Province d’As-Sulaymaniya, située au nord-est de l’Irak. Et ce, par la voix de Gaetan Boisson, chef de projet à la société BibLibre, missionné au printemps-été 2013 pour conduire cette entreprise inédite, manifestement passionnante à vivre, tant culturellement que professionnellement. Un grand merci donc à lui pour ce témoignage, que Bambou prend plaisir à diffuser auprès de ses nombreux lecteurs libristes et voyageurs.

Bambou : « BibLibre a été chargée d’installer Koha à Sulaimani, ce qui semble très inhabituel, pour ne pas dire exotique, dans votre activité de prestataire. Comment cette opportunité s’est-elle présentée ? »

G.Boisson : « En effet, inhabituel est un mot bien faible ! Le fait que BibLibre soit impliquée dans Koha depuis les balbutiements du projet n’y est certes pas pour rien… Même si bizarrement le lien était loin d’être direct. Un grand nombre de bibliothèques dans le monde utilisent Univ SoulaimaniKoha sans faire appel à aucun prestataire, et il y en a quelques unes en Irak. L’Université de Sulaimani a fait construire un campus entièrement neuf et très moderne. Cela comprenait la création d’une nouvelle bibliothèque, conçue pour accueillir 400 000 ouvrages et dotée des toutes dernières technologies (écrans tactiles, RFID, automates de numérisations, …). Le prestataire local (Mahmoud Jaff), qui avait vécu en Allemagne en tant que réfugié, a fait appel à un prestataire allemand pour l’ameublement, lequel a sollicité un consultant (Karl Wilhelm Neubauer) qu’il connaissait pour aider dans la gestion de la bibliothèque ; celui-ci a pris contact avec des membres de la communauté Koha en Allemagne et ce sont ces derniers qui nous ont recommandés ! »

Bambou : « Pouvez-vous nous décrire le contexte de cette bibliothèque, ses fonctions, caractéristiques… ? »

G.Boisson : « Il s’agit d’une grande bibliothèque universitaire, couvrant tous les sujets enseignés à l’Université de Sulaimani. A l’origine, elle était conçue pour ne pasUniversity Library of Sulemania faire de prêt et servir essentiellement d’espace de travail pour les étudiants et les professeurs. Mais au cours du projet, il est apparu bien plus intéressant de tirer parti de la RFID et de la ré-informatisation pour mettre en place la circulation des documents. Aujourd’hui, en plus d’offrir aux étudiants de vastes salles d’études, de mettre à leur disposition du matériel informatique, une connexion internet et un accès aux bases de données en ligne, elle leur permet donc également d’emprunter des documents pour travailler chez eux. »

Bambou : « Quel a été votre rôle pendant cette mission ? »

G.Boisson : « Je me suis rendu à deux reprises sur place. La première fois (avril 2013) afin de comprendre les besoins spécifiques des équipes et de les aider à prendre les bonnes décisions pour le paramétrage de Koha. Nous avons alors également passé beaucoup de temps à définir comment les données serEcriture kurdeaient récupérées dans Koha. A l’origine la bibliothèque utilisait une multitude de bases Access et de fichiers Excel pour gérer son catalogue. Il a donc fallu en centraliser un maximum afin de ne disposer que d’une seule base. Surtout, nous avons dû réfléchir à la gestion de la bi-bidirectionnalité du texte : le kurde s’écrit de droite à gauche, mais, comme en arabe, les chiffres s’écrivent de gauche à droite. En plus, comme on mélange en permanence différents systèmes d’écritures entre l’interface et les notices (parfois elles-même contenant plusieurs écritures), on travaille avec du texte qui peut changer de direction à tout moment. Il y avait donc quelques cas particuliers à gérer… Cela a d’ailleurs été l’un des aspects les plus passionnants de ce projet.
Lors de mon deuxième voyage (juin-juillet 2013), nous avons finalisé la mise en place du système, et formé les équipes. Entre-temps, nous avions travaillé sur la migration et j’avais coordonné le processus de traduction lancé par les équipes kurdes. Nous avions malheureusement gravement sous-estimé la quantité de travail et les délais étaient très courts avant la mise en production : à l’approche de la livraison, trois traducteurs se relayaient en faisant les trois huit pour finaliser le travail ! »

Bambou : « Où en est aujourd’hui le projet ? »

G.Boisson : « La bibliothèque a malheureusement eu, pendant longtemps, de lourds problèmes d’infrastructure qui ont empêché la bibliothèque de travailler dans Koha. Fort heureusement, depuis maintenant 2 mois, tous ces problèmes sont réglés et l’équipe a pu reprendre le travail ! La leçon que j’en retire reste malgré tout que dans les pays en situation de crise, il vaut mieux proposer une solution hébergée : cela permet à la bibliothèque de se concentrer sur son travail plutôt que d’avoir à régler des problèmes techniques. »

Bambou : « Les bibliothécaires de cet établissement souhaitent-ils s’investir dans la communauté Koha ? Quels sont leurs projets autour de Koha ? »

G.Boisson : « Ils s’y sont déjà fortement investis en produisant une traduction kurde d’une grande partie des interfaces ! Cela-dit, avec cette question, vous touchez à l’une de mes grandes préoccupations : comment intéresser plus de personnes ailleurs que dans les pays occidentaux à rejoindre la communauté et à participer au développement de Koha. Nous entendons en effet régulièrement parler de grands projets lancés autour de Koha par la Turquie, la Malaisie, mais leurs acteurs n’interagissent que rarement avec la communauté. Sans doute que ses codes, très occidentaux, voire nord-américains, ne sont pas faciles à appréhender partout, et nous-même, en tant que membres de la communauté, ne savons peut-être pas toujours répondre de façon adéquate à des requêtes formulées sur un mode sortant justement de ces codes. Toujours est-il que nous bénéficierions certainement beaucoup de l’opinion d’usagers venant de contextes aussi différents, mais nous n’avons que rarement l’occasion de les entendre. »

Bambou : « Que retenez-vous de cette expérience ? »

G.Boisson : « Comme toujours face à un contexte différent, l’équilibre entre la nécessité de très bien documenter toutes les décisions prises, la fermeté avec laquelle on tiendra la barre pour les faire appliquer et la flexibilité dont il faut faire Sulaimani 1preuve face à la vitesse et la légèreté avec laquelle elles sont remises en question sont essentielles ! Cela vaut bien sûr pour tous les projets. Enfin, ça c’est une réponse froide et professionnelle… Ce qu’en j’en retiendrai réellement, ce sera d’avoir rencontré des gens passionnés, qui ont donné une énergie incroyable pour ce projet et ont fait preuve d’une grande volonté pour améliorer l’accès à l’éducation et à la connaissance dans leur pays. Je pense notamment à Mme Shler Faraj qui a été investie à fond dans le projet et a beaucoup donné pour la modernisation de sa bibliothèque. Je me souviendrai surtout des conversations que j’ai pu avoir avec les différents acteurs du projet et parfois même leur famille, non pas sur notre travail, mais concernant l’histoire de leur peuple et leur situation si particulière. Ça a été une chance inestimable que de pouvoir les rencontrer et d’écouter leurs récits. »Kurdistan irakienSulaimani 2Sulaimani

Une Réponse

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